C’était un début en noir et blanc, plein de clichés : d’un côté quelques bénévoles de la Maison, blancs et pas très jeunes ; de l’autre des jeunes du CEPIJE ou des adolescents engagés dans l’animation de la Maison, colorés et plus bruyants. On aurait pu rester ainsi, chaque groupe de son côté, à l’abri et se regarder en chiens de faïence.
Ou plutôt ne pas se regarder du tout, chacun discutant avec ses connaissances. Comment aborder ces jeunes, que leur dire ?
Les animateurs et organisateurs de la rencontre avaient plus d’un tour dans leur sac : quelques jeux simples pour nous donner l’occasion de nous mélanger et d’entamer la conversation. Chacun, muni d’un papier, s’est alors mis en route pour chercher un autre : mon prince charmant d’un noir d’ébène m’a assez vite trouvée et nous avons fait connaissance, comme les autres. Un deuxième jeu a créé des équipes. Chacune d’entre elles devait pousser le cri d’un animal plus fort que la voisine. Deux jeunes champions de s’affronter alors spontanément, dans un duel d’imitation animale d’une drôlerie qui nous a tous fait rire à gorge déployée.
Puis, surprise : un buffet sucré concocté par les jeunes dont plusieurs sont élèves pâtissiers dans un lycée du quartier : gâteaux, choux à la crème, mousse au chocolat… un régal !
Ces rencontres étaient aussi fugaces que les gâteaux, elles n’auront probablement pas créé de liens durables, mais ces jeunes ont répondu à l’invitation, ils sont venus et ont cuisiné pour nous ; et nous sommes venus pour eux, pour les rencontrer. C’était un pas, de chaque côté, pour ne pas s’ignorer, pour ne pas avoir peur les uns des autres, pour s’apprivoiser un peu. C’est bien cela, la Maison, un lieu de rencontre, rencontres faciles et amicales, ou rencontres inattendues, qui dérangent parfois. Comment pourrions-nous tourner le dos à ces jeunes qui franchissent le seuil avec confiance ou espoir ?
Nous sommes là comme chrétiens, pour la plupart d’entre nous. Le Christ, que nous cherchons à suivre, ne s’est pas dérobé devant l’autre, il n’a pas tourné le dos à ceux qui ne lui ressemblaient pas : sans parler des malades et des pauvres en tout genre, il s’est laissé interpeler et toucher par un centurion romain – l’occupant étranger haï pour sa violence ; émouvoir par une Cananéenne – une païenne qui ne partageait pas sa religion ; il a dialogué avec une Samaritaine et, attentif, il a voulu recevoir d’elle ce qu’elle avait avant de lui donner à son tour. Il en va de même pour nous, disciples du Christ : nous ne venons pas là pour rester entre nous, mais pour accueillir l’inconnu, pour attendre l’imprévu, pour ouvrir à ceux qui sonnent.
Et qui sonne ? Majoritairement ces jeunes qui diffèrent de nous par leur âge, leur éducation, leurs goûts, leur langage et leurs vêtements, par leur nom, leur religion ou leur couleur de peau. S’ils viennent là, c’est qu’ils espèrent trouver quelque chose qui leur manque ou à quoi ils aspirent : de l’écoute, de l’aide ponctuelle ou durable, un lieu où ils ne sont pas rejetés. Ils sortent de chez eux, de leur entre-soi et viennent vers nous. Si nous les ignorons et leur tournons le dos, où iront-ils ? Vers qui se tourneront-ils ? Où trouveront-ils des lieux pour faire société ? Et nous, à quoi servirons-nous ? Ne sont-ils pas nos prochains ?
Valérie Ranson